Le savoir est l'arme la plus efficace contre les tyrans. La preuve : ils brûlent toujours tous les livres (ou font du chantage pour qu'on ferme nos blogs). La liberté nous ne la voyons pas, nous ne la questionnons pas tant qu'elle n'est pas mise en danger, et lorsque nous la cherchons (dans l'acte même de l'écriture par exemple, ou d'un projet de vie) nous en voyons les limites et la fragilité. Limites intérieures (nos freins mentaux, psychologiques, affectifs, animal…) et limites extérieures (l'ordre du monde, la société, les religions, la consommation…). La liberté d'expression n'est pas un acquis. Elle est sans arrêt à défendre et à revendiquer. Ses ennemis n'en sont que plus redoutables qu'ils prétendent l'aimer et se positionne en victimes du manque de liberté justement. Récemment, en Avignon, je suis allé voir "Bent" de Martin Sherman au théâtre du Rempart. Une pièce qui parle d'homosexualité sous le IIIeme Reich. Contre les remparts de l'ignorance et de l'intolérance qui continuent de sévir chez nous (j'irai même jusqu'à dire : en nous) comme ailleurs dans le monde. Ici comme ailleurs, discriminations et agressions sont prête à éclater. Dès leurs arrivée dans la cité des papes les comédiens de "Bent" constatent que leurs affiches sont systématiquement profanées ou retirées jusqu'au jour où l'un des comédiens est agressé, place PY à 14h. Une fois de plus la réalité scénique rejoint la réalité de la vie.
Au fond, les camps sont le comble du capitalisme dans son rapport à l'homme. Et quoi que nous soyons, nous avons ces barbelés à l'horizon des mémoires et de l'avenir que nous construisons mondialement. Mais mettons nous au travail et inversons les signes du destin. Une jeune génération à soif de changement, à envie de dire les choses autrement, et ne désespére pas de la capacité des hommes à modifier les réalités avec l'art comme arme de résistance. L'Histoire n'est intéressante que dans le parallèle que nous pouvons en faire avec notre présent et dans l'analyse des cycles historiques et sociaux qu'elle met à jour.
"Bent" nous parle d'un régime pas si lointain ou les abus de pouvoir qui s'armaient et s'autorisaient de la raison faisaient pression en utilisant la peur de l'autre. Un transfert de paranoïa dans un pouvoir normatifs qui individualise, isole et met en servitude par un contrôle et une humiliation des individus.
Quelle est l'histoire de "Bent" ? Vous n'avez pas vu le film de Sean Mathias ? Ecoutez ce que les comédiens en disent en nous parlant des personnages qu'ils incarnent.
Téléchargement Venlentin Terrer Alias Rudy
Téléchargement Michel Mora alias Max
Téléchargement Jean Matthieu Erny alias Horst
Chose inouïe, c'est au dedans de soi que l'on peut regarder le dehors, et dans l'univers carcéral des camps que l'on peut réfléchir à la liberté. Quand les horizons s'effondrent sur vous et qu'il ne vous reste plus que la mémoire ; quand le présent et l'avenir échappent à l'existence : la liberté est alors envisagée d'un point de vue intérieur, comme la part inaliénable de l'être, celle qui est de l'esprit. Il y a des fatalités de la vie communautaire anonyme fondée sur l'aliénation des biens et des rapports d'altérité. La névrose, l'abandon, le délit criminel sur fond d'injustice originelle et la poésie et l'amour comme réalité d'évasion. Derrière les barbelés, on se défend du désir en affamé, de la promiscuité comme d'une solitude grimaçante et de l'abandon qui, nuit après nuit, prend la couleur muraille du temps.
Les comédiens (engagés et justes) et leurs histoires m'ont tellement touchés (en particulier le fascinant Valentin Terrer) que je n'irai pas dire du mal de la mise en scène, même si je pense que celle-ci était trop proche du texte (jusqu'à la redondance visuelle systématique). Il parait que l'auteur, qui est venu voir la pièce lors de la journée mondiale contre l'homophobie, à justement beaucoup apprécié cet aspect. Mais quand il s'agit d'interprétations de leurs textes, les auteurs sont toujours trop frileux. Qu'importe, l'essentiel est qu'ils aient marché ensemble vers la seule conquête qui vaille : celle d'une liberté partagée et d'une rédemption individuelle toujours possible.
PS : Le dernier survivant connu des "triangles roses" Rudolf Brazda, vient de mourir ce mercredi 3 août...
"Bent" de Martin Sherman, mise en scène d’Anne Barthel, assisté de Franck Delage
Avec Michel Mora, Jean Matthieu Erny, Valentin Terrer, Gérard Cheylus, Frédéric Morel, Philippe Renon, Albert Piltzer, Franck Delage, Matthieu Wolf
Accordéon: Benoît Dagbert
Costumes: Frédéric Morel
Accessoires: Christine Debeurme
56 rue du rempart Saint Lazare, 84000 Avignon
Réservations: +33 (0)9 81 00 37 48