Mi Aout, déjà, D. glisse dans mon sac un petit livre des éditions de Minuit : "la pute de la côte Normande". La pute de la côte Normande c'est Marguerite Duras. C'est elle et c'est elle qui écrit. Je l'englouti en un instant. Ca parle de théâtre, de souvenirs, de difficulté à écrire, d'interférences émotionnelles. Et ça parle aussi de rien. Je m'identifie volontiers avec la pute de la côte Normande. C'est difficile de ne pas se laisser contaminer par l'écriture de Duras. Ces phrases déstructurées qui courent et sur lesquelles on ne peux pas revenir. C'est comme une course derrière quelque chose d'insaisissable, "sur la crête des mots". Tout y est vanité et poursuite du vent. Ca me touche. J'en ai parlé à D. Je lui ai dit que ça me touchait parce que je m'identifiais à Marguerite mais aussi à Yann et à la relation qu'ils entretenaient. Que j'ai relu le livre plusieurs fois, que j'y retrouve des situations déjà vécues. Que cette astrologue humaniste m'avait comparé à Marguerite Duras à cause de la succession de ces 3 planètes, identiques avec celles que Duras a aussi dans son thème astral… Pour toute réponse D, il me déverse un flot de livres de Marguerite Duras, avec enthousiasme. Il me les déverse tous, comme ça, dans mon sac, sans rien d'autre qu'un grand sourire. "Alors comme ça tu t'identifies à cette Folle de Marguerite Duras ?"
"Le vice consul", "Le ravissement le lol V.Stein", "Yann Andréa Steiner", "India song", "La vie matérielle", "Les yeux bleus cheveux noirs", "Ecrire", "La vie matérielle". Certaines histoires se répètent et se complètent comme une longue biographie romancée en pointillés. C'est comme ça que ça a commencé. Avec les lectures brûlantes dont je ne pouvais pas me défaire et dont D. cherchait l'écho. En fin de compte mes yeux ont suivi une seule et même ligne, le fil d'une seule histoire, celle de Marguerite. Ca s'est effectué sans que je m'en rendre compte. De livre en livre, de phrase en phrase, j'en suis arrivé à "La douleur". Et c'est à ce moment là, à ce moment précis que je reçois ce message : "La douleur" Duras, Chereau, Dominique Blanc, théâtre de l'atelier, jeudi 22 septembre. J'ai pris une place pour toi.
Il s'agit d'un journal écrit par Marguerite Duras lorsqu'elle attendait le retour de son mari (Robert Antelme) du camps de concentration de Dachau. Elle y décrit l'attente, le retour de l'homme et son retour à la vie. Tout est juste. De la mise en scène à la sobriété de l'interprétation. Quelques coupures ont été opérées avec justesse dans le texte initial. Notamment une fin coupée à un moment inattendu et qui laisse entrevoir la rémission du revenant sans la montrer avec ces mots viscéraux : "J'ai faim".
J'ai l'impression que les mises en scène de Chereau évoluent vers une sorte d'essentialisation. Plutôt que d'additionner des signifiances sur les textes il s'agit, depuis déjà plusieurs spectacles, de soustraire, de se soustraire. Les éclairages se sculptent dans l'ombre plutôt que par superpositions de lumières. Aucun maquillage. Tout le monde s'efface au profit de quelque chose de plus important que quiconque. Mais de ces gens sensibles persiste malgré tout l'ombre des signatures.
Ci-joint l'extrait d'un entretient imbibé d'alcool et d'intelligence :
3-09 Marguerite Duras_ _Autoportrait, Je Ne Comprends Pas..._
"La douleur" de Marguerite Duras, Mise en scène par Patrice Chereau avec Dominique Blanc au théâtre de l'Atelier jusqu'au samedi 22 Octobre.