C'est un bien vieux tramway ! Et dont la station finale devrait ici s'appeler "ennuie" si elle portait un nom véritable. Le "metteur" Américain Lee Breuer, dans une démarche esthétisante et spectaculaire, traite le sud violent et sensuel de Tennessee Williams à coups de Japon(i)aiseries d'un goût douteux. Une sophistication grand spectacle dans laquelle sont plaquées des références intellectuelles qui ne cachent qu'avec peine la superficialité du propos du metteur en scène. Des kurogos interviennent en permanence sur la scène. Comme dans le théâtre Kabuki, il s'agit d'assistants muets couverts de voiles noirs qui passent les accessoires aux acteurs ou changent les décors à vue. Des estampes (tigres, singes, guerriers ou marines) traitées sur fond de laque d'or ou d'azur, se déploient sans cesse, figurant l'espace mental des personnages et enfermant définitivement l'imaginaire du spectateur. Comme devant un enfant, qui presserait sur tout les boutons de la machinerie théâtrale ou voudrait utiliser absolument l'ensemble du financement (public) qui lui est attribué, on assiste, nauséeux, à une multiplication d'effets spéciaux injustifiés (qui vont jusqu'à l’envol de Stanley et de sa belle, accrochés à un filin qui les emporte vers les cieux, ou une sonorisation à la Walt Disney lorsque Blanche enfile sa somptueuse robe en soie façon kimono). "Je ne veux pas de réalisme, je veux de la magie !" fait dire Tennessee Willliams, dans la pièce écrite en 1947, au personnage de Blanche. Breuer nous montre ici son interprétation "Las Vegas" de la magie en oubliant l'invisible du texte qui recèle, peut être, la magie dont parle l'auteur.
L'histoire : après une longue séparation, Blanche rend visite à sa soeur Stella qui vit dans un quartier populaire de la Nouvelle-Orléans. Celle-ci a épousé Stanley, tout en muscles, en bière et en poker. Blanche reproche ce mariage à Stella parceque, juge-t-elle, il la déclasse et avec elle toute la famille, autrefois propriétaire d'une demeure baptisée "belle rêve". Mais Blanche a sa part de noirceur que Stanley va découvrir. Elle en perdra la raison.
Les acteurs suivent le pari avec habileté dans la confidence des micros. Anne Kessler, notamment, compose une Blanche Dubois qui n'a rien à envier à Vivien Leigh dans le film de Kazan. Elle minaude, tente de transformer les deux pièces cuisine de sa soeur en boudoir, s'évapore dans la salle de bain qu'elle occupe en permanence. Hélas, tout autour d'elle n'est que réalisme grossier : le mauvais bourbon, les parties de cartes de Stanley, sa violence à l'égard de Stella. Tout comme l'actrice se trouve en prise avec la matérialité triviale de la mise en scène.
Pour incarner Kowalski, sauvage, sensuel, Eric Ruf avait un défi insurmontable à relever : être à la hauteur de Marlon Brando. Mais la question n'est finalement pas de savoir si il soutient la comparaison, mais de voir comment le comédien, aidé par le metteur en scène, contourne l'obstacle. C'est déguisé en Joker de Batman, une improbable perruque verte sur la tête, le visage grimé de blanc, barré d'un sourire rouge et grotesque qu'il y parvient. Loin, très loin du Brando moulé dans son T-shirt légendaire.
"Un tramway nommé désir" est la première pièce Américaine à entrer au répertoire de la comédie Française (Un répertoire riche de 2 662 oeuvres et 1025 auteurs). C'est la première fois qu'un auteur non européen vient s'ajouter à la petite quarantaine d'auteur étranger joués salle Richelieu.
Un tramway nommé désir », de Tennesse Williams, mise en scène de Lee Breuer. Avec Anne Kessler, Eric Ruf, Françoise Gillard, Christian Gonon, Léonie Simaga, Bakary Sangaré, Grégory Gadebois, Stépahane Varupenne. A la Comédie-Française, salle Richelieu en alternance jusqu’au 2 juin (0825101680).