"La vie était si violente et si contrastée qu'elle répandait l'odeur mêlée du sang et des roses" ("L'automne du Moyen-Âge", Johan Huizinga).
La pièce se passe dans la patrie, à la fin d'une guerre interminable. Jeanne D'arc et Gilles de Ray, en Armures, chevauchent ensemble lors du siège d'Orléans, pendant la guerre de Cent Ans. L'intimité du dialogue est projetée sur grand écran. L'image filmée en gros plan de deux acteurs qui se dandinent, comme sur des chevaux, et échangent des jeux de regards cinématographiques devant la toile de fond d'une contre-plongée dans les arbres d'Automne qui défilent au dessus de leurs têtes. Il y a une fascination mutuelle. Jeanne admire le glorieux maréchal qui lui apparaît le seul à l'accepter comme elle est. Gilles admire cette fille du peule, énergique et authentique, à l'androgynie attirante. Les mots qui sont échangés parlent du courage, de l'engagement et de la Foi. La lâcheté y est le pire de tous les défauts. Mais jusqu'où aller ? Sur cette Toile de l'Histoire, leur histoire ensemble sera suivie de leurs histoires individuelles. L'histoire de Jeanne dans une première partie : "Roses" étant mise en parallèle avec celle de Gilles, dans une deuxième partie : "Sang". Une construction dramaturgique qui s'opère comme un jeu de miroirs et de négatifs ou les deux figures seront broyés entre les dents de l'engrenage qu'ils ont mis en place par leur engagement. Jeanne veut sauver la France dans une recherche de lumière, Gilles voudra sortir des règles sociales et des cadres imposés dans l'exploration de sa part d'ombre. Héros ou meurtriers ils donnent leur vie, et leur honneur pour des causes plus grandes qu'eux. Des personnages qui vont au bout de leur Foi et de leur désir. Des jusqu'au-boutistes qui, par leur histoire, démasquent les pouvoirs totalitaires de l'Eglise Catholique sur les images, les âmes, les esprits et la société (dans laquelle le juridique devient une recherche manichéenne du bien et du mal et de ses figures symboliques : la vierge et le diable). Les germes de l'extrémisme sont ici suggérés dans le principe même de la Foi.
Un parallèle entre le moyen-Age et le présent d'une Europe en fin de cycle. Tom Lanoye à écrit le texte à la demande de Guy Cassier spécialement pour le festival d'Avignon. Avec "Sang et Roses", la compagnie Toneelhuis, poursuit son étude passionnante sur le pouvoir politique et ses excès, ses perversions. On retrouve ce même vocabulaire scénique constaté avec "Mephisto for ever" vu en 2007 à Avignon : Un parallèle entre scènes publiques et scène privés, Intérieurs et extérieurs, mis en évidence par les registres de jeu, la vidéo, l'espace sonore et la musique interprétée en direct (ici composée par Dominique Pauwels et chantée par le Choeur du Collegium vocale de Gand).
Le théâtre de Guy Cassier s'intéresse à l'histoire de l'Europe à travers une analyse des discours qui s'y développent et des forces sociaux politiques qui s'y affrontent. Derrière des images de notre passé c'est une analyse du présent de notre époque. Pourtant, alors que j'avais beaucoup aimé "Mephisto for ever" je suis un peu décu par la portée émotionnelle de ces signes. Le travail dramaturgique est poussé et passionnant mais la mise en scène me semble un peu tiède. J'aurais eu envie de tellement plus de flamboiements et de cruautés. D'une utilisation plus audacieuse de la cours d'honneur. Allez-y quand même !
"Sang et Roses" de Guy Cassier avec : Katelijne Damen, Stefaan Degand, Abke Haring, Han Kerckhoffs, Johan Leysen, Johan Van Assche et Jos Verbist. En flammand surtitré en français, du 8 au 12 Février 2012 au théâtre de l'Odéon, Paris.