Il y a plusieurs années, J'avais découvert au festival de la nouvelle danse, à Uzes, la compagnie de danse-théâtre Belge Peeping Tom, dont le nom de voyeur prenait tout son sens dans un spectacle intitulé "le salon" et qui montrait l'ardeur poétique des corps dans le capharnaüm naturaliste d'un salon. Les objets y étaient détournés ; les corps, engagés et risqués, me parlaient des sentiments et de la violence qui sévissent dans les intérieurs, dans l'intimité des maisons, des familles et des corps.
Présenté au pôle culturel D'Alfortville, à l'occasion de la 16ème biennale de Danse du Val-de-Marne, leur dernier spectacle : "32 rue Vandenbranden", en revanche, se passe en extérieur et parlerait plutôt d'une extimité (d'après l'extimité que Lacan oppose à l'intimité). Le mensonge des surfaces et l'impossibilité de communiquer des sentiments profonds tendent vers un burlesque léger qui désamorce toute émotion.
Moment de transition pour la compagnie qui évolue vers d'autres poétiques ou usure de ses codes par le marché ?
Dans un paysage de neige désolé, sans horizon aucun, un préfabriqué et une caravane abritent une humanité future ou les confins de la société actuelle : en tout cas des gens en prise avec le souffle glacial du vent et un ciel immense et nuageux. Fantasmes et contorsions maladives, Agressions, névroses et dérapages contrôlés, peurs et jalousies : les situations s'enchaînent sur la surface verglacée du sol sans que la glace ne soit jamais brisée. Les personnages restent seuls et dans l'impossibilité de communiquer leurs sentiments profonds. Que ce soit avec les corps ou avec la parole (qui, lorsqu'elle surgit, semble appartenir d'avantage au paysage sonore de la pièce qu'à une signifiance) les personnages semblent en prise avec l'impossibilité d'exprimer le trop plein d'émotion qui les submerge, les handicapent. Un propos qui échappe à toute continuité dramaturgique et se propose comme une succession, ou une juxtaposition, de séquences entretenant entre elles des liens flous n’ayant rien à voir avec une quelconque organicité narrative. Des conduites de bifurcation, où, une fois posé le postulat d’une narration possible, la notion même de récit s’atrophie, se perd ou se défigure. Mais cette fragmentation s’explique aussi par le processus de création puisque la compagnie travaille en partant "à nu" dans des décors préétablis en attendant qu'une matière poétique diffuse s'élabore entre les danseurs, sans anticipation.
De ce spectacle qui s'achève par la mort d'un des personnage, mort qui hante aussi la pièce dédié à une des comédiennes décédée de la compagnie, je retiens un terrain infertile et crépusculaire. Mais Peut-être est-il le reflet juste de notre temps ?